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La Cité Internationale des Arts De Paris accueille le video performer Moussa Sarr

Solenn TENIER | | Arts Visuels

Moussa-SARR

Corse d’origine, Moussa SARR, artiste video performer, a tout d’abord travaillé ses gammes à l’École des Beaux-Arts de Toulon, puis a intégré cinq ans plus tard la prestigieuse école Lilloise du Fresnoy. Actuellement en résidence à la Cité Internationale des Arts, pour une durée d’un an, ce jeune artiste très prometteur a accepté de se livrer à l’exercice de l’interview pour 100pour100culture.

 

Pouvez-vous nous expliquer ce lien entre vidéo et performance ?

Lorsque j’étais aux Beaux-Arts, je faisais surtout de la performance. Mais la performance est par définition momentanée, il faut donc créer une trace de cette action, par le biais de la photographie et de la vidéo. J’ai donc acheté une petite caméra et à force de l’utiliser, la relation qui s’est installée entre cet objet et moi est devenue vraiment intéressante ; beaucoup plus que le rapport que j’entretenais avec la performance. Il me semble que cela est dû, en partie, à la multiplicité des actions et des éléments que j’ai appris à maîtriser et qui, d’un coup, a donné un autre sens à mon art. 

Je pense en particulier à la relation avec le spectateur. Grâce à la vidéo, la manière de communiquer et de jouer avec lui a réellement évolué.

L’autre raison pour laquelle j’ai décidé de ne plus performer lors d’événements, provient également du fait que trop souvent les organisateurs attendent de la part des artistes un divertissement plus qu’une forme d’art. Or, je considère que nous sommes à un moment ou nous devons faire une pause pour réquisitionner notre manière d’aborder ce médium. En bref, il faut faire évoluer le rapport que nous entretenons avec la performance.

 

Quelle définition donneriez-vous au terme « vidéo-performance » ?

Au début la vidéo était juste une trace. Je l’utilisais pour avoir des traces de la performance. D’ailleurs le public pouvait également filmer. Puis, j’ai commencé à faire de « l’auto-filmage », et là c’est devenu de la vidéo-performance. La vidéo a une fonction de support. Je peux choisir le cadre, le lieu, etc. Quant à la performance, il faut savoir que les séquences enregistrées ne reflètent pas un jeu d’acteur. Je ne suis pas un acteur ou un comédien. Je ne joue pas un personnage, je deviens le personnage. Lorsque je travaille les cris d’animaux, je ne fais pas le loup, je deviens le loup, et ça se ressent dans la gestuelle. Tout est réel. Finalement, la vidéo et la performance sont interdépendantes l’une de l’autre.

En tout état de cause, la définition donnée à un travail artistique est intéressante. Chacun peut avoir sa propre définition et vouloir utiliser des termes différents. Par exemple, lorsque l’on me parle de vidéo-performative, je ne vais pas comprendre sa signification.

D’ailleurs, étant donnée l’utilisation récente de la vidéo en art et son caractère évolutif, au même titre que la performance, je suis curieux de savoir comment les experts définiront mon travail et mes actions dans quelques années.

 

Avez-vous remarqué une évolution dans votre travail ?

Le moment important a été lorsque j’ai compris la manière dont j’avais envi de travailler. Et ce moment-là est arrivé avec une vidéo, qui s’appelle L’orgasme du singe. C’est la première vidéo où je fais l’animal et où je traite de questions actuelles, sociétales et surtout où il y a un véritable engagement de ma part. A partir de cette vidéo tout s’est redéfini ; la manière de me filmer, je pense à ce mur blanc, symbole de simplicité et où il faut partir de rien tel la feuille blanche. Certaines personnes possèdent des grands moyens techniques et moi non. Donc le principe est le même que pour la performance, « s’il ne te reste plus rien, il te reste ton corps ».

Aujourd’hui mon travail se construit sur ce même modèle, puisque le monde qui m’entoure continu de m’inspirer, a fortiori l’actualité. Je réagis en fonction, rien n’est prémédité. De manière naturelle j’ai envie de créer des vidéos-performances en utilisant certains animaux. Je me suis rendu compte qu’il n’y a aucune limite dans leur utilisation. C’est comme les fabulistes, ils peuvent utiliser une quantité d’animaux aussi différents les uns des autres ou utiliser le même animal en l’insérant dans des situations et des histoires différentes.

 

 La vidéo est-il l’unique support de votre travail ?

De temps en temps, le résultat de la vidéo ne me convient pas, alors j’utilise la photographie en gardant cette idée « d’auto-représentation ». Il m’arrive également de ne pas utiliser ma propre image ; je m’oriente alors vers la sculpture. Par exemple, j’ai fabriqué un tapis volant qui est un tapis de prière. Le fait que ce tapis soit un tapis de prière volant, se transformant en drone, fait écho avec tout ce qui se passe depuis un moment dans le monde. Il s’agit d’un vaste mélange entre religion et surveillance et ce sont ces deux éléments imbriqués qui font sens.

 

Quel rapport avez-vous avec l’actualité ?

L’actualité fait partie intégrante de mon quotidien. J’en suis imprégné et à un moment donné il faut que ça sorte d’une façon ou d’une autre. Il y a deux possibilités. Soit certaines informations m’inspirent et alors c’est à la suite de la création qu’elles se transforment en actualité ; soit il y a une actualité qui m’intéresse, mais plastiquement je ne sais pas comment la mettre en forme, alors je me laisse le temps. Réagir rapidement à l’actualité peut être dangereux car une dépendance aux médias s’instaure. Il faut se donner le temps de réflexion et le temps de création.

 

De quelle manière intégrez-vous l’actualité dans votre création ?

Si tu utilises la caméra comme une arme l’idée est de te tirer une balle pour tuer ton égo et tuer l’égo permet d’être dans une autodérision, d’utiliser l’humour. Alors, le spectateur en te voyant peut rire et réceptionner le message avec plus de légèreté, et c’est à ce moment-là qu’une discussion va avoir lieu. Et ensuite, par un effet miroir, le spectateur va pouvoir faire son autocritique. Ce parti pris me semble plus constructif que l’accusation permanente de l’autre.

 

Quel est objectif de vos créations ?

A ma mesure, avec la visibilité qui est la mienne, je souhaite faire évoluer les choses. Certaines personnes écrivent, d’autres dansent, moi je crée des vidéos-performances.

De quelle manière je souhaite faire évoluer les choses ? Je suis persuadé que poser la question autrement peut ouvrir de nouvelles perspectives de réflexions et peut aider à trouver une solution. Il n’y a pas de moral dans mes fables, d’ailleurs très régulièrement il n’y a pas de fin. Je ne suis pas moraliste, je veux juste poser la question d’une autre manière et voir comment tous ensemble nous pouvons trouver une solution.

 

Son site web : espace2sarr.wordpress.com

Solenn TENIER