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Ahmadou Kourouma La francophonie et l’Afrique des proverbes

Atse Ncho De Brignan | | Litterature

Considéré comme l’un des plus grands écrivains du continent africain, l’Ivoirien Ahmadou Kourouma (1927-2003) est aujourd’hui le parangon de la littérature africaine avec ses « africanismes » : «Il y avait une semaine qu’avait fini dans la capitale Koné Ibrahima…». Cette phrase qui ouvre Les Soleils des indépendances signifie que Koné Ibrahima était mort voilà une semaine. Tout un programme !

Kourouma

Penser et réfléchir en malinké, sa langue maternelle, pour traduire cela en français, voilà la spécificité et l’originalité de l’homme. En le faisant, cette façon de faire et d’écrire a résonné comme un coup de tonnerre dans le ciel de la littérature d’Afrique francophone, jusque-là plutôt académique. Sa « langue » à lui a suffi, à tort ou à raison, à le distinguer des autres écrivains de cette région du monde. Mais n’annonçait-elle pas l’originalité du fond et de la forme de son œuvre, qui naissent peut-être de son parcours si particulier ?
Peu prolifique, Kourouma est l’auteur de quatre romans qui évoquent chacun un pan différent de l’histoire de l’Afrique subsaharienne. Tous, qu’ils traitent de la colonisation, des guerres tribales, des indépendances ou des dictatures, ont pour vocation de faire réfléchir sur la situation désastreuse du continent africain.
Pour la journée de la Francophonie qui débute ce 20 mars et dont le thème est de « Vivre ensemble, différents », nous avons relevé pour vous, quelques mots, citations et proverbes de cet illustre auteur (lauréat de l’Ordre de la Pléiade de la Francophonie) tirés de quelques uns de ses romans.

Un lexique et des expressions africanisés.

Bafitini : Jeune mère, petite maman. « Quand maman était jolie, appétissante et vierge, on l’appelait bafitini ».
(Allah n’est pas obligé)
Bangala : Terme familier désignant le pénis. « Après le repas, me demandait tout le temps de me déshabiller. Et j’obéissais. Elle me caressait le bangala, doucement et doucement. »
(Allah n’est pas obligé)
Bele-bele : Bon, fortiche, vigoureux, compétent. « Les chefs de groupe de l’armée de Johnny était de plus cruels, de plus en plus bele-bele ».
(Allah n’est pas obligé)
Bilakoro : Garçon incirconcis et non-initié. « Le jour que nous avons quitté le bois sacré, nous avons bien mangé et bien dansé. Nous n’étions plus des bilakoros, nous étions des initiés, des vrais hommes ».
(Allah n’est pas obligé)
Bouffer à toutes les sauces : Intervenir partout pour avoir gain de cause. « Les Malinkés ou les Madingos sont de tous les camps ; ils bouffent à toutes les sauces ».
(Allah n’est pas obligé)
Cacaba : Un fou. « Revenons au gouvernement, à la politique générale de ce fichu pays de maudits et de cacabas ».
(Allah n’est pas obligé)
Casseur de caillou : Orpailleur, ouvrier qui creuse la terre pour chercher de l’or. « Siguiri est un lieu pourri où des piocheur et casseurs de caillou trouvent de l’or ».
(Allah n’est pas obligé)
Chiaderie : Travail acharné. « Les mânes font ce qu’ils veulent ; ils ne sont pas obligés d’accéder à toutes les chiaderies des prieurs ».
(Allah n’est pas obligé)
Doni-doni : Petit à petit, doucement. « Le soleil avait bondi comme une sauterelle et commençait à monter doni-doni ».
(Allah n’est pas obligé)
Djibo : Fétiche à influence maléfique. « Ils ont lancé contre la jambe droite de maman un mauvais sort, un djibo trop fort, trop puissant ».
(Allah n’est pas obligé)
Donson ba : Grand chasseur ou chasseur initié qui a tué un fauve noir et un génie malfaiteur. « Balla était le guérisseur de ma maman ; c’était un donson ba ».
(Allah n’est pas obligé, p. 16)
Faire pied la route : Faire la route à pied ; marcher. « Nous n’avons pas beaucoup fait pied la route, même pas un kilomètre : tout à coup une chouette a fait un gros froufrou ».
(Allah n’est pas obligé)
Faro : Le malin ou Faire faro : faire le malin. « Le conducteur de moto et le mec qui faisait faro derrière la moto étaient tous deux morts ».
(Allah n’est pas obligé)
Gnona-gnona : Dare-dare, en toute hâte. « Il nous fallait partir gnona-gnona ».
(Allah n’est pas obligé)
Gnoussou-gnoussou : Terme familier désignant le vagin. « Elle tripotait dans son gnoussou-gnoussou et demandait à tête brûlée de venir lui faire l’amour publiquement ».
(Allah n’est pas obligé)
Kassaya-kassaya : Dingue, fou. « Que faisait Sékou dans ce pays de kassaya-kassaya ? ».
(Allah n’est pas obligé)
Koroté : Mauvais sort, poison opérant à distance sur la personne visée (synonyme de djibo). « Ils ont lancé contre la jambe droite de maman un mauvais sort, un koroté ».
Makou ! : Silence ou Se makou, faire makou : se calmer, faire silence. « Un enfant-soldat a braqué le kalach dans mon cul et m’a commandé « avale, avale ! » et je suis makou ».
(Allah n’est pas obligé)
Mauvaiseté : Etat ou caractère de ce qui est mauvais. « Ma maman ne m’a rien dit, mais elle est morte avec sa mauvaiseté dans le cœur ».
(Allah n’est pas obligé)
Mord sans avoir de dents (ce qui) : Une surprise désagréable. « Pendant que la corruption continuait et que les coups d’Etat en chapelet se succédaient, se préparait en catimini contre le régime pourri et criminel de Sierra Leone ce qui mord sans avoir de dents ».
(Allah n’est pas obligé)
Mouiller la barbe : Corrompre quelqu’un. « Un mois, il a été tellement occupé par les palabres, tellement emmerdé par les palabreurs qu’il a oublié de bien mouiller la barbe des douaniers pour un bateau plein de colas ».
(Allah n’est pas obligé, p. 41)
Ouya-ouya : 1. Vulgaire. « Mais, il fallait voir un ouya-ouya comme le colonel Papa le bon pleurer à chaude larmes ». 2. Désordre, qui ne fait pas sérieux. « La constitution fut votée à 99,99% des votants. A 99,99% parce que 100% ça fait ouya-ouya ».
(Allah n’est pas obligé)
Palabreur : Celui qui participe à un palabre, c’est-à-dire une assemblée coutumière où se discutent les affaires pendantes, se prennent les décisions. « Un mois, il a été tellement occupé par les palabres, tellement emmerdé par les palabreurs qu’il a oublié de bien mouiller la barbe des douaniers pour un bateau plein de colas ».
(Allah n’est pas obligé, p. 41)

Citations et proverbes

• On n’est trahi que par ses proches amis.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.16, Éd. du Seuil, 1998)
• Le proverbe est le cheval de la parole ; quand la parole se perd, c’est grâce au proverbe qu’on la retrouve.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.41, Éd. du Seuil, 1998)
• Pour celui qui aime, qui vraiment aime, les nuits ne se terminent jamais avec le lever du jour.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.46, Éd. du Seuil, 1998)
• Il y a dans la vie de chacun de nous des mots qu’on regrettera toujours d’avoir prononcés, des mots qu’on n’aurait jamais dû sortir, des mots qu’on aurait dû avaler : les mots qui changèrent notre destin.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.47, Éd. du Seuil, 1998)
• […] il existe deux sortes de cécité sur cette terre. Il y a d’abord ceux qui irrémédiablement ont perdu la vue et qui parviennent avec une canne blanche à éviter les obstacles. Ce sont les aveugles de la vue. Et ceux qui ne croient pas, n’utilisent pas la voyance, les sacrifices. Ce sont les aveugles de la vie. Ils entrent de front dans tous les obstacles, tous les malheurs qui empêchent leur destin de se réaliser pleinement.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.59, Éd. du Seuil, 1998)
• Il y a dans la vie deux sortes de destins. Ceux qui ouvrent les pistes dans la grande brousse de la vie et ceux qui suivent ces pistes ouvertes de la vie. Les premiers affrontent les obstacles, l’inconnu. Ils sont toujours le matin trempés par la rosée parce qu’ils sont les premiers à écarter les herbes qui étaient entremêlées.
Les seconds suivent des pistes tracées, suivent des pistes banalisées, suivent des initiateurs, des maîtres. Ils ne connaissent pas les rosées matinales qui trempent, les obstacles qui défient, l’inconnu des nuits noires, l’inconnu des espaces infinis. Leur problème dans la vie c’est de trouver leur homme de destin. Leur homme de destin est celui qu’ils doivent suivre pour se réaliser pleinement, pour être définitivement heureux. Ce n’est jamais facile de trouver son homme de destin, on n’est jamais sûr de l’avoir rencontré.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.60, Éd. du Seuil, 1998)
• On dit que la mort est préférable à la honte, mais il faut rapidement ajouter que la honte porte des fruits, la mort n’en porte pas.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.63, Éd. du Seuil, 1998)
• Le pouvoir est une femme qui ne se partage pas.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.103, Éd. du Seuil, 1998)
• Ce ne sont pas par ses discours et ses gesticulations, mais par le silence et le sérieux que le sage se distingue dans une assemblée.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.107, Éd. du Seuil, 1998)
• Quand, au moment de la séparation entre deux individus, personne ne ressent de regret, la séparation est arrivée trop tard.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.122, Éd. du Seuil, 1998)
• Il n’y a que le désert qui guérisse les désespoirs. Parce que le désert, c’est les espaces infinis, le silence des dunes, un ciel dans les nuits émaillé de milliers d’étoiles. Un environnement qui sans faute sauve les grands désespérés. Dans le désert, on pouvait pleurer sans crainte de faire déborder un fleuve.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.144, Éd. du Seuil, 1998)
• Dans la vie, quand tu as à choisir entre deux hommes, rallie toujours celui qui ne croit pas à l’homme, celui qui n’a pas de foi.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.163, Éd. du Seuil, 1998)
• La vérité n’est très souvent qu’une seconde manière de redire un mensonge […].
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.184, Éd. du Seuil, 1998)
• Si quelqu’un t’a mordu, il t’a rappelé que tu as des dents.
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p.289, Éd. du Seuil, 1998)
• […] l’Afrique est de loin le continent le plus riche en pauvreté et en dictatures […].
(En attendant le vote des bêtes sauvages, p., Éd. du Seuil, 1998)
• «La principale institution, dans tout gouvernement avec un parti unique, est la prison.»
(En attendant le vote des bêtes sauvages)
• «Aimer, c’est servir un autre que soi-même et en faire un maître.»
(En attendant le vote des bêtes sauvages)
• «La mort d’un seul combattant ne suffit pas à arrêter le combat.»
(En attendant le vote des bêtes sauvages)
• «On est toujours plus sincère quand on prend à témoin plusieurs au lieu d’un seul Dieu.»
(En attendant le vote des bêtes sauvages)
• «Quand le tam-tam frappe, on ne se proclame pas meilleur danseur, on le prouve.»
(En attendant le vote des bêtes sauvages)
• «A vouloir balancer trop loin le crapaud, on finit par le jeter dans le bonheur d’une mare.»
(En attendant le vote des bêtes sauvages)
• «Lorsqu’on condamne un rebelle à mort, c’est tout un clan qu’il faut savoir faire disparaître pour avoir la paix dans le pays.»
(En attendant le vote des bêtes sauvages)
• «Il n’y a pas de longue journée qui ne se termine par une nuit.»
(En attendant le vote des bêtes sauvages)
• «Prévenir la trahison, débusquer le faux ami, le jaloux parent, le traître avant qu’il inocule son venin est une opération aussi complexe que de nettoyer l’anus d’une hyène.»
(En attendant le vote des bêtes sauvages)
• «Les animaux traitent mieux les blessés que les hommes.»
(Allah n’est pas obligé)
• «C’est comme ça dans les guerres tribales : les gens abandonnent les villages où vivent les hommes pour se réfugier dans la forêt où vivent les bêtes sauvages. Les bêtes sauvages, ça vit mieux que les hommes.»
(Allah n’est pas obligé)
• «Il n’y a pas de justice sur cette terre pour le pauvre.»
(Allah n’est pas obligé)
• «Quand on voit quelqu’un et qu’il fuit, ça signifie c’est quelqu’un qui te veut du mal. Il faut l’attraper.»
(Allah n’est pas obligé)
• «Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas.»
(Allah n’est pas obligé)
• «C’est Bon Dieu seul qui tue les méchants, les cons, les pécheurs et les damnés.»
(Allah n’est pas obligé)
• «A la longue, de toute manière, ce qui est secret est connu par tout le monde.»
(Allah n’est pas obligé)
• «Allah dans son immense bonté ne laisse jamais vide une bouche qu’il a lui-même créée.»
(Allah n’est pas obligé)
• «Ingérence humanitaire, c’est le droit qu’on donne à des Etats d’envoyer des soldats dans un autre Etat pour aller tuer des pauvres innocents chez eux, dans leur propre pays, dans leur propre village, dans leur propre case, sur leur propre natte.»
(Allah n’est pas obligé)
• «Partout dans le monde une femme ne doit pas quitter le lit de son mari même si le mari injurie, frappe et menace la femme. Elle a toujours tort. C’est ça qu’on appelle les droits de la femme.»
(Allah n’est pas obligé)

Bibliographie de l’auteur

• Romans
– 1976 : Les soleils des indépendances, éditions du Seuil, Prix de la Francité, Prix de la Tour-Landry de l’Académie française, Prix de l’Académie Royale de Belgique.
– 1990 : Monnè, outrages et défis, éditions du Seuil, Prix des Nouveaux Droits de l’homme, Prix CIRTEF, Grand Prix de l’Afrique noire.
– 1998 : En attendant le vote des bêtes sauvages ; éditions du Seuil, Prix Tropique, Grand Prix de la société des gens de lettres, Livre inter en 1999.
– 2000 : Allah n’est pas obligé ; éditions du Seuil, Prix Renaudot 2000, Prix Goncourt des lycéens 2000, Prix Goncourt des prisonniers 2000, Prix Jean Giono, Prix Amerigo Vespucci 2000, Grand Prix littéraire d’Afrique noire 2000.
– 2004 : Quand on refuse on dit non ; éditions du Seuil (publié à titre posthume).

• Quelques littératures pour la jeunesse :
1998 : Le diseur de vérité, éditions Gallimard jeunesse.
1998 : Yacouba, le chasseur africain, Edition Grandir.
1999 : Le chasseur, héros africain, Edition Grandir.
1999 : Le griot, homme de paroles, Edition Grandir.
2000 : Le forgeron, homme de savoir, Edition Grandir.
2000 : Prince, suzerain actif, Edition Grandir.

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